J.M. Dauvergne

Entretien à Callian le 17 août 2002





- Tu as souvent exposé en région parisienne ou dans le Nord de la France, que ressens-tu lorsque tu vois tes toiles exposées en Provence ?

J'aime bien exposer partout ou je peux, la région ne fait aucune différence. Depuis que j'ai mon site Internet, je suis en contact avec des gens d'un peu partout, chaque expo est donc l'occasion d'en rencontrer certains, ce qui est toujours un plaisir.

- Tu te présentes officiellement comme un autodidacte, un mot qui cache beaucoup de choses. Pourrais-tu en dire un peu plus sur ton parcours ?

Assez instable (moins maintenant) je n'ai pas réussi à rester suffisamment longtemps dans une école pour y apprendre quelque chose. J'ai exercé de nombreuses activités sur de courtes périodes avant de travailler comme maquettiste et typographe dans une imprimerie de 1982 à 1984. Ensuite j'ai travaillé toujours comme maquettiste dans l'édition puis la presse.
Parallèlement à ça j'ai toujours peint et dessiné depuis mon enfance, pas énormément comme certains peintres, mais régulièrement.

- Y a-t-il eu un évènement ou une rencontre qui ont influencé ton choix de te diriger vers la peinture ?

Le hasard, une proposition d'exposition collective en 1989, avant je ne montrais pas ce que je faisais, et d'ailleurs je ne peignais pas beaucoup juste 2 à 3 peintures par an.


Allégorie Champêtre / Rural Allegory - 1991 ø 80cm


- Les scènes de désolation, d'abandon, de ruines reviennent souvent dans tes tableaux. D'où te vient cette fascination pour les ruines et les civilisations éteintes ?

Cette fascination me vient de plusieurs choses. D'abord le temps qui laisse son empreinte sur tout, les ruines étant une marque du passage du temps, la plus durable puisque la pierre est ce qui dure le plus longtemps. Il y a aussi le sentiment que l'homme n'est pas éternel et qu'il disparaîtra peut-être un jour.
Et puis j'aime les ruines, elles sont propices au rêve et à l'imagination.

- Est-ce qu'on peut considérer ces paysages de désolation comme un miroir de l'état actuel de notre civilisation ?

C'est un des buts de ma peinture, même si j'ai envi que chacun puisse y voir ce qu'il veut, j'y mets quand même ce que j'ai dans la tête. Nous vivons effectivement dans un monde en pleine déliquescence. D'un côté la nature se révolte, inondations, tempêtes, pluies diluviennes, etc, suite aux actes inconsidérés des humains dont beaucoup préfèrent penser leurs intérêts personnels ou économiques à court terme plutôt qu'une vision écologique à long terme. Comme on peut le voir avec les sommets de Kyoto et Johannesburg, le profit domine encore largement la raison. La connerie humaine l'emporte toujours, alors que depuis une vingtaine d'année certains tirent la sonnette d'alarme nous mettant en garde contre les conséquences des activités humaines, beaucoup d'industriels sont prêts à payer pour un droit de polluer, pourtant la plupart de ces industriels ont une famille, des enfants qui profiteront autant que les autres des méfaits de leurs parents.
D'un autre coté on voit ces dernières années des fous dangereux, prêts à exterminer une partie de l'humanité pour des idéologies passéistes et douteuses voir fascisantes ou des intérêts financiers, accéder au pouvoir (Bush, Sharon,...) avec la bénédiction de nombreux pays.
Ces gens-là se permettant de plus de faire la morale à l'Europe sur son passé, c'est risible. De plus, tous les conflits actuels souvent provoqués par ces soi-disants défenseurs de la liberté ne sont jamais pris en compte dans les considérations écologiques. Une guerre, tout le monde le sait, ça ne détruit pas la planète, tout au plus ça résout des problèmes de surpopulation !
Si on rajoute à ça l'expansion démographique de l'humanité et le fait que par notre seul nombre nous sommes source de destructions d'espèces végétales autant qu'animales, on a au final un avenir radieux et plein de promesses !


Grille ensevelie / Buried fence - 1989 - 150 x 80 cm


- Pour quelles raisons n'y a-t-il jamais de présences humaines vivantes dans tes tableaux ?

Plusieurs raisons justifient l'absence d'humains dans mes toiles.
-La présence de personnages me semble anecdotique et injustifiée.
-La possibilité que mes peintures représentent des périodes postérieures à l'activité humaine.
-Le fait que mes toiles par l'absence de personnages place le spectateur face à lui-même. Mes peintures s'adressent à lui, ce ne sont pas des scènes où il peut voir d'autres personnes, il est seul face à sa reflexion et son imagination, sans échappatoire, comme on est seul devant la mort.

- En fin de compte, la seule présence vivante est représentée par la végétation, les arbres, les forêts... Quels rapports entretiens-tu toi-même avec la Nature ?

J'adore la nature, particulièrement la forêt qui évoque pour moi la forêt primordiale. Je me promène souvent en forêt, c'est un univers différent qui ne doit rien à l'homme.
J'ai une fascination pour le végétal. Beaucoup de gens comprennent mal le règne végétal, qu'ils comparent souvent au règne animal, c'est autre chose une autre organisation, d'autres fonctionnements. J'élève plein de plantes dont certaines, étranges, seraient difficiles à imaginer, et parfois pour les faire pousser, il faut comprendre leur fonctionnement, leur rythme, leur interaction avec leur milieu.
J'aime aussi les paysages dénudés, les grandes plaines énigmatiques comme mes champs où le regard se perd dans l'infini.

- Tu peins souvent des forêts denses et impénétrables qui font penser à celles de l'Europe du Nord. Est-ce que la forêt méditerranéenne pourrait être aussi une source d'observation et d'inspiration?

Je pense que toute forêt pourrait être pour moi source d'inspiration. Mes forêts ne sont pas un type particulier de forêt mais plutôt une représentation de la forêt en général. C'est la forêt primordiale comme Entité, comme un seul être. C'est la forêt source de vie, sensuelle, sexuelle, la forêt des mythes, à la fois rassurante et effrayante.


Forêt XXVI / Forest XXVI - 1999 - 30 x 30 cm


- Tu dis que "la plupart de tes peintures sont ou contiennent des passages dont on ne voit qu'une extrémité...". Lorsque tu imagines ta peinture avant de lui donner forme, visualises-tu aussi l'extrémité qui restera cachée au spectateur?

Le charme de mes passages réside dans l'inconnu de leurs destinations.
Je ne visualise que rarement ce qu'il y a autour de ce que je peins, mais je le préssent et il pèse sur la peinture.

- Quels effets recherches-tu en travaillant sur des formats non conventionnels, tels que des triangles, des cercles...?

Souvent lorsque l'idée d'une peinture me vient à l'esprit, elle possède déjà un format (taille et forme) ainsi qu'un cadrage dont il m'est pratiquement impossible de m'écarter. Si j'ai eu l'idée d'une peinture petite, impossible d'en faire un grand format et inversement.
L'utilisation de triangle, rond, ovale ou de formats panoramiques très allongé accentue et renforce l'effet et l'idée de la peinture. Ça a un impact visuel sur le spectateur.
À noter que les ronds (tondo) ainsi que les ovales étaient des formats beaucoup plus courants au 18e et 19e siecles.

- Comment vis-tu le fait qu'un certain nombre de personnes te connaissent davantage comme "illustrateur de pochettes de disques" que comme peintre?

Je le vis très bien car j'adore le travail de maquettiste et que la plupart du temps lorsque qu'il y a certaines de mes peintures sur des pochettes de disques j'en ai fait la maquette.


Tronc creux / Hollow trunk - 2001 ø 80cm


- Certains de tes tableaux ont été reproduits sur des pochettes de disques. Néanmoins, ne préfères-tu pas la démarche inverse, réaliser le concept artistique à partir d'une musique?

J'ai fait les deux puisque sur certaines des pochettes que j'ai réalisé il n'y a pas de peinture.
Si certaines peintures figurent sur des pochettes c'est qu'elles correspondaient au concept du disque.

- Quelle importance accordes-tu à la Musique? A-t-elle une influence sur ton Art?

La musique a une grande influence sur moi. J'ai toujours écouté beaucoup de musique et je peins t oujours en musique.

- Quelles sont tes autres sources d'inspiration et/ou d'influence? Littérature, peinture, cinématographie...

La littérature en premier car c'est une source infinie d'inspiration (ma principale source d'inspiration avec mon imagination) qui présente l'avantage de stimuler l'imagination sans la canaliser comme peut le faire tout ce qui touche au visuel. La peinture et le cinéma nous imposent un cadre qui souvent brident l'imagination. C'est d'ailleurs pour ça que j'essai en général dans ma peinture, par les cadrages, la représentation seulement de fragments, les parties très sombres ou qui disparaissent dans la lumière, l'absence de personnages et d'autres artifices, de réduire un maximum ce cadre.
Mes influences littéraires vont principalement du roman gothique à la SF en passant par le fantastique. J'aime beaucoup le fantastique du 19e souvent très subtil.
J'aime aussi beaucoup la Science-fiction catastrophe, les fins du monde, la SF anglaise des années 60/70 à été très prolifique dans ce domaine.
En peinture j'ai été marqué, si ce n'est inspiré, essentiellement par des peintres classiques, Hubert Robert, Monsu Désidério, Piranesi, C. D. Friedrich, Böcklin, Shiskhin, David Robert, John Martin, Fussli, Mossa, Gustave Doré,..., en contemporains des artistes comme Dado, Velickovic, Giger, Cremonini, Beksinski,... Je pourrais en citer beaucoup d'autres en fait car je regarde énormément de peintures et d'images.


Champs VI / Fields VI - 1996 ø 100cm


- T'es-tu toi-même essayé à d'autres formes d'expression artistique?

Très peu, par manque de temps, mais aussi parce que pour l'instant la peinture est la seule expression qui m'est venue naturellement et que j'arrive à controler suffisament.

- Nous avons appris que le labels Divine Comedy devrait sortir un portfolio de tes oeuvres. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce projet?

Beaucoup de gens voient des choses différentes dans mes peintures. comme j'aime le mélange d'expressions différentes, l'idée du portfolio est donc que d'autres personnes à travers textes et musiques expriment ce qu'ils ressentent ou voient dans mes peintures. Au final ce sera un portfolio contenant les peintures que les participants ont choisies comme base à leur texte ou à leur musique.

- Une partie de tes tableaux sont exposés sur ta galerie virtuelle http://jmdauvergne.free.fr/.
Quelle importance accordes-tu à Internet? Dans quelle mesure ce média aide-t-il à la diffusion de ton Art?

Mon site est le seul endroit que je peux gérer comme je le veux, et dans la mesure ou j'ai peu d'expos c'est l'endroit ou l'on peut voir le plus grand nombre de mes peintures. Les images y sont malheureusement petites, mais je l'ai consu pour un affichage rapide quelque soit le type de connexion et la taille de l'écran de l'utilisateur.
J'ai eu plus de contacts et d'échanges en 2 ans par mon site que dans les 10 années précédentes.


Allée II / Lane II - 1997 - 50 x 70 cm


- Avant de conclure, la traditionnelle question de Heimdallr: quels disques écoutes-tu et que lis-tu en ce moment?

Je lis énormément, donc je vais citer les derniers livres que j'ai lu et aimé cet été.
Jérome Leroy: Bref rapport sur une très fugitive beauté, (Ed. les belles lettres) récit très noir mèlant prospective et politique fiction emprunt d'humour très noir aussi et de cynisme.
Nicolas D'Estiennes D'Orves: Othon ou l'aurore immobile, là aussi il s'agit de politique fiction.
Gore Vidal: La fin de la liberté, vers un nouveau totalitarisme? ( Ed. Rivages), essai sur les libertés au Etats-Unis. Très cynique et effrayant.
Robert Holdstock: La forêt des Mythagos (Ed. Denoêl), ça fait au moins 3 fois que je le lis et je ne m'en lasse pas. Un des rares livres de Fantasy (avec le royaume des devins de Clive Barker) que j'ai trouvé lisible et intéressant.
Horacio Quiroga : Contes d'amour, de folie et de mort. Comme beaucoup d'écrivains d'Amérique Latine (Borges, Adolfo Bioy Casares,…) c'est un fantastique très léger.
Alain Gresh : Israël, Palestine, vérités sur un conflit (Fayard) C'est un très bon livre sur le sujet qui retrace l'historique depuis le XIXe siecle et il est toujours intéressant de s'informer sur l'actualité autrement que par l'info partiale de la radio et de la télé.

En musique cet été j'ai principalement écouté (la liste complète serait trop longue) Kirchohmfeld "Diode", Stone Glass Steel "Dismembering Artists", Golden Palominos "Dead Inside", Seven Pines "The garden of fand", Godspeed you black emperor, Massive Attack "Mezzanine", Pink Floyd "Atom Heart Mother", ainsi que plusieurs productions de Divine Comedy que j'aime particulièrement : A Challenge Of Honour, Othila et Land.

- Les derniers mots sont pour toi... as-tu quelque chose à ajouter?

Malgré mes réponses à certaines questions plus haut, je ne suis ni sinistre, ni perpetuellement déprimé (il faut quand même mieux téléphoner avant de passer pour éviter les mauvais jours!), j'ai seulement toujours vécu en considérant que l'homme n'est qu'une espèce en sursis, comme d'autre espèces sur terre et que de sa domination du monde vient sa fragilité.
Je ne suis pas non plus un écologiste pur et dur, juste un pollueur comme des milliards d'êtres humains.
Je suis enfin surtout un rêveur pour qui l'imaginaire et les délires sont indispensables à la survie dans une société de plus en plus rigide.



Nathalie F. & Ian C.
Eté 2002



Mer de ruines III / Sea of ruins III - 1991 - 150 x 50 cm


Contact et galerie virtuelle :
http://jmdauvergne.free.fr/

Les reproductions de tableaux qui illustent cet interview sont extraites de la nouvelle série de cartes postales disponible auprès de l'artiste.